Denis Jutzeler

Les huit photographies que je présente font partie d’un ensemble. Un travail
mené depuis une dizaine d’années autour de la construction d’un jardin
intérieur, d’un jardin idéal, territoire de toutes les conversations où s’entremêlent
dans l’intimité les paroles données et les paroles reçues.
De Philippe Jaccottet, je retiens «Je marche dans un jardin de braises fraîches
sous leur abri de feuilles».
Je pratique la photographie avant tout pour y insinuer un temps, le temps de
la conversation. Je cherche, au-delà de la beauté, à convoquer des sensations,
des émotions qui témoigneraient de nos conditions, voire de nos contradictions
sans toutefois imposer ni dicter une lecture linéaire, mais une lecture
ouverte et propre à chacun.
Apprendre le chemin qui passe, apprendre le chemin qui vient …
Les territoires sur lesquels je travaille sont qualifiés de jachères, souvent
proches des réserves naturelles, à l’abri des intrusions humaines, en marge de
tout passage. Une fois l’hiver installé, cette nature dite primaire me révèle,
dépouillée de son feuillage, ses lignes squelettiques aussi simples que complexes
et m’engage dans une relation intime, abstraite, aussi douce que violente.
Le choix du cadrage, ainsi que celui de la lumière, est le fait d’un long cheminement,
comme un dialogue incessant instauré, inscrit dans une temporalité
dictée par la parole et l’attention.
Ces territoires sont situés à proximité de mon lieu de vie. En perpétuels mouvements,
ils sont visités, revisités et chaque fois redécouverts. Se transformant
au fil des hivers, comme autant de rencontres et de parenthèses à mon métier
de chef opérateur pour le cinéma, orienté et pratiqué la plupart du temps
parmi des cultures et des territoires à peine survolés.