Btihal Remli
Reportage, 2016
Les Héros de la Montagne
Projektbeschrieb
Si les thématiques abordées par l'artiste en Valais sont nouvelles, le travail réalisé s’inscrit dans le prolongement direct de ses travaux précédents. Avant de commencer sa résidence, la photographe avait en effet proposé de travailler sur la production alimentaire ; elle s’intéressait notamment à la fabrication du fromage et aux effets de la globalisation et du changement climatique sur cette économie traditionnelle. Se basant sur son expérience personnelle dans les montagnes du Maroc, aux environs de Oujda, elle pensait pouvoir documenter dans les Alpes valaisannes les restes d’une activité vernaculaire. Mais une fois sur place, elle fût confrontée à une réalité différente, bien loin des images idéalisées véhiculées par le marketing et le tourisme. Cette tension entre un vernaculaire devenu brand et la contemporanéité des modes de vie et de production dans la montagne devint le thème central du travail de Btihal Remli.
L'artiste commença son séjour par de nombreux voyages de recherche en montagne, dans les alpages de Nava, Grimentz, Orsières ou Emaney. Elle fit connaissance de plusieurs familles de propriétaires et de travailleurs venus de l’étranger, pour travailler temporairement dans la montagne. Durant plusieurs jours, elle partagea la vie de ces nouveaux « Héros de la montagne » au noms bibliques, comme Zacharie, Thomas, Myriam ou Luc, qui ont supplanté les anciens « mythes », celui d’Heidi et de son grand-père notamment. Ici encore, la photographe s’est intéressée au lien entre les hommes et leur territoire ou à la manière dont nous le produisons à travers nos activités. Mais si auparavant elle s’était souvent intéressée à de tels aspects sous l’angle du religieux ou du rituel, ce sont les réalités d’une économie alpestre contemporaine qui sont au centre de ce nouveau travail. Or, de manière tout à fait intéressante, l’aura des travaux précédents s’est complètement infiltrée dans l’objectif de l'artiste, donnant à sa nouvelle série un caractère profondément épique.
De nombreuses images de l'artiste se focalisent sur les gestes. On voit les ouvriers affairés, concentrés sur leurs tâches répétées de manière rituelle dans des espaces à qui elle a donné un caractère sacré, comme cette pièce sombre, enfumée, avec son chaudron et ses bacs qui font penser aux représentations de la forge de Dionysos dans la peinture européenne. Mais si certaines images ont un caractère solennel, d’autres ont une tonalité plus drôle ou décalée, tels ces deux propriétaires aux allures de cow-boys prenant un apéritif en se servant du capot de leur 4X4 comme bar improvisé ou ce portrait d’un mouton fixant l’artiste sur un arrière-fond de montagnes, antithèse dérisoire des héros du peintre romantique Caspar David Friedrich.
En venant en Valais pour y travailler sur l’économie alpestre, l'artiste s’est exposée à un défi difficile : être capable de capturer en peu de temps certains aspects d’une réalité complexe, chargée des représentations parfois contradictoires qui se sont accumulées à travers les âges, de la représentation idéalisée d’un homo alpinus helveticus au XVIIIème siècle aux images véhiculées aujourd’hui par l’industrie du tourisme. Au final, l’artiste a su éviter les pièges, en se fiant à son instinct. Elle a délivré un travail sensible et subtil, qui met en lumière les nouvelles dynamiques en jeu dans la montagne, entre tradition et modernité, faisant ainsi écho à l’Enquête photographique qui documente depuis plusieurs années un Valais en constant changement.